- TEXTES CRITIQUES -

Un petit bout rimé qui m'a été inspiré par une grande artiste, la photographe Edith Landau dont je trouve le travail magnifiquement puissant.
Ce qui ne gâte rien, Edith est une belle personne dans tous les sens de l'adjectif, en Yiddish on dirait que c'est "ein Mensch".
Nous avons la chance de pouvoir regarder une de ses oeuvres accrochée chez nous.

C’est un cliché en noir et blanc…
Le modèle est de trois-quarts dos,
Si le corps n’est pas vraiment beau
C’est qu’il dit la fuite du temps,
Nos secrets les plus troublants,
Les fous-rires et les sanglots,
Les chagrins qui sont notre lot,
Le plaisir si fort qu’il surprend.
C’est un couple se chevauchant,
Un étrange méli-mélo,
Ça chante comme un adagio,
Tout à la fois tendre et glaçant…
On regarde en se demandant :
Comment échappe-t-il aux mots,
Pourquoi nous fait-il le cœur gros,
Pourquoi nous remue-t-il autant ?
C’est en se penchant qu’on comprend
Il est signé : EDITH LANDAU

 

Émile BRAMI, Juillet 2023




Pour Edith l’ombre est lieu de toute émergence, elle est le territoire de l’apparition.

Car pour le photographe du corps, il ne s’agit pas de dire « l’apparence » mais « l’apparition », la survenue du corps comme une naissance perpétuée. 

C’est un pacte avec la lumière : chercher dans tout instant où elle survient, dans ce temps suspendu le moment essentiel.

Dans un grand nombre de photos, la peau est touchée, malaxée, balafrée de terre, d’empreintes. Tout se passe comme si le modèle aspirait à devenir le statuaire de son propre corps, à en bouleverser l’apparence. Jamais cela n’est décor et toujours cela semble pulsion venue de l’intérieur.

Pour dire avec force l’élan vital qui nous fait être, Edith n’hésitera pas à user des artifices paradoxaux de la théâtralité. Le fard sur les visages ou les corps loin de dissimuler leur réalité profonde transformera le fugitif de la pose, la fugacité de l’expression en une présence immanente.  Dans une série comme « Shamrodia » de 2015, dans les « Masques » et dans bien d’autres encore la peau du modèle a été enduite de matières terreuses ou farineuses comme un fard primitif donnant au corps ou au visage l’apparence d’une statue immémoriale. Le recouvrement éloigne pour un instant la référence à la photographie de « nu » et à toutes ses conventions. Et l’évidence apparaît : Edith est de la famille des sculpteurs ou du moins elle sait traduire dans ses photos le geste du modeleur de glaise pétrissant la matière terreuse comme l’affirmation hiératique du tailleur de pierre posant au-devant de l’espace un corps dressé. Il serait absurde de croire que le photographe construit son monde personnel par le seul face à face avec le modèle vivant. Son regard s’est élaboré aussi dans l’admiration des œuvres du passé. Le photographe sait être statuaire et Edith nous parle aussi de l’idole debout et du souffle de l’Ilisos de Phidias et de l’emportement du Bernin.

Les oeuvres d’Edith disent avec une force singulière le dangereux et douloureux combat de l’être pour qui vivre est perpétuelle résurrection. Loin de l’esthétisme facile elles nous parlent de l’essence même de chaque être vivant. L’œuvre de l’art est parcours et au fil des séries de photos, inlassablement, obstinément, profondément une réflexion passionnée nous conduit à ressentir l’immémoriale lutte contre l’effacement …

 

 Hervé Duetthe, 2015